Fumer et allaiter : est-ce compatible ?
- Carole HERVE
- 27 oct.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 nov.
Vous allaitez votre bébé et vous vous demandez si une cigarette de temps en temps peut vraiment nuire à votre allaitement ? Beaucoup de mères se retrouvent face à cette question, tiraillées entre leur envie de protéger leur enfant et la difficulté de se passer d’un geste devenu réconfortant. Entre culpabilité, jugements et informations contradictoires, il est normal de se sentir perdue. Dans cet article, nous faisons le point sur les données scientifiques disponibles et les conseils pratiques pour allaiter en toute sécurité, même si vous n’avez pas (encore) arrêté de fumer.
Sommaire
1. Le tabac et l’allaitement : une réalité fréquente
Vous n’êtes pas seule. En France, près de 17 % des femmes reprennent le tabac dans les mois qui suivent la naissance. Pour certaines, la cigarette représente un moment de pause, presque le seul instant « rien qu’à soi » dans un quotidien bouleversé par l’arrivée du bébé.
Cela ne fait pas de vous une « mauvaise mère » : cela montre simplement que l’allaitement et la maternité s’inscrivent dans une vie réelle, avec ses forces et ses fragilités. L’important est de savoir que vous pouvez être accompagnée, et qu’il existe des solutions pour protéger votre enfant même si vous continuez à fumer.
2. Quels effets du tabac sur la lactation et la production de lait ?
La consommation de tabac n’empêche pas d’allaiter : il ne s’agit pas d’une contre-indication. Mais la nicotine et d’autres substances présentes dans la cigarette peuvent modifier certains aspects de la lactation :
la nicotine réduit la prolactine, hormone essentielle à la lactation.
le lait peut être moins riche en lipides et en antioxydants, avec un impact possible sur l’immunité de votre bébé, si votre consommation de tabac est élevée
Certaines mères fumeuses introduisent du lait artificiel plus tôt, souvent par crainte de transmettre des toxines par leur lait et c'est fort dommage car ce n'est pas obligatoire. Être bien informée permet justement de continuer l’allaitement dans de bonnes conditions.
Pourquoi la nicotine fait baisser la prolactine ?
La prolactine est l’hormone qui permet la production de lait maternel. Elle augmente environ 30 à 45 minutes après le début d'une tétée efficace : quand votre bébé tète, un signal part vers votre cerveau, qui libère de la prolactine et de l’ocytocine. Or, la nicotine interfère avec ce mécanisme : elle agit directement sur l’hypophyse (la petite glande qui sécrète la prolactine) et réduit sa libération. Concrètement, cela signifie que l'augmentation du taux de prolactine après la tétée est plus faible, donc la stimulation de la production de lait est moins efficace. À la longue, certaines mères qui fument beaucoup peuvent voir leur lactation diminuer. Encore une fois, on considère que ce phénomène survient quand la consommation de tabac est importante, soit plus de 6 à 10 cigarettes par jour.
La composition du lait maternel et le tabac
Le lait maternel s’adapte toujours aux besoins du bébé, mais lorsque la mère fume, certaines substances passent dans le lait, notamment la nicotine et ses dérivés. Cela peut avoir plusieurs conséquences :
Moins de graisses dans le lait ce qui peut réduire légèrement l’apport énergétique pour le bébé.
Moins de vitamine C alors que cette vitamine est essentielle pour la croissance et l’immunité.
Présence de nicotine qui peut donner un goût différent au lait et parfois amener le bébé à téter moins volontiers.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas allaiter si vous fumez. Au contraire : même en cas de tabagisme, le lait maternel reste supérieur au lait artificiel, car il protège votre bébé contre les infections et soutient son développement. Mais il est utile de connaître ces effets pour mieux les limiter.
3. Quelles conséquences pour votre bébé allaité ?
Chez le bébé, l’exposition au tabac peut se traduire par :
plus de coliques et de troubles digestifs,
davantage de problèmes respiratoires, surtout liés au tabagisme passif,
une annulation de l’effet protecteur de l’allaitement contre la mort inattendue du nourrisson (MIN),
à long terme, un risque accru d’asthme, de troubles pulmonaires et métaboliques.
Mais si ces risques existent, ils ne signifient pas que votre bébé sera forcément concerné. Et surtout, le lait maternel continue à jouer un rôle protecteur, même quand vous fumez. On parle de bénéfices/risques et en l'occurence, les bénéfices de l'allaitement ou du don de lait maternel dépassent les risques du tabagisme.
Le tabagisme passif
Le tabagisme passif, c’est l’exposition d’un bébé à la fumée de tabac de son entourage. Cette fumée est particulièrement nocive pour lui, car :
ses poumons sont encore immatures,
son organisme est plus vulnérable aux substances toxiques.
Les bébés exposés à la fumée de tabac présentent plus de risques de :
bronchites et infections respiratoires,
otites,
mort subite du nourrisson (ce risque est nettement plus élevé en cas de tabagisme passif).
Il est donc pertinent, si vous fumez, de ne jamais fumer à l’intérieur ni dans la même pièce que le bébé, même fenêtre ouverte. Les particules restent accrochées aux murs, aux vêtements, aux cheveux : on parle alors de tabagisme tertiaire ou « fumée de troisième main ».
4. Pourquoi le lait maternel reste bénéfique, même si vous fumez
De nombreuses mères pensent protéger leur enfant en arrêtant l’allaitement si elles fument. Pourtant, les experts sont clairs : le lait maternel reste meilleur pour l’enfant que le lait artificiel, même quand sa mère fume. Le lait maternel contient des anticorps, des cellules vivantes et des nutriments spécifiques qui soutiennent le développement du bébé et renforcent son immunité. Il réduit les infections, protège contre certaines maladies et reste une source de réconfort incomparable.
Autrement dit : si vous hésitez entre allaiter en fumant ou passer au lait artificiel, l’allaitement reste un véritable cadeau précieux.
5. Les gestes qui protègent bébé quand on fume
Si arrêter de fumer n’est pas envisageable dans l’immédiat, plusieurs précautions permettent de limiter les effets du tabac :
Fumer après la tétée et non avant, pour que le taux de nicotine dans le lait soit plus faible.
Attendre au moins 2 heures après avoir fumé avant de remettre votre bébé au sein.
Ne jamais fumer dans la même pièce que votre enfant.
Porter un vêtement que vous retirez après avoir fumé et vous laver les mains avant de prendre bébé.
Vous brosser les dents
Éviter le cododo si vous fumez, car cela augmente le risque de MIN.
Prolonger au maximum l’allaitement, car ses effets protecteurs s’accumulent dans le temps.
Ces gestes ne font pas disparaître tous les risques, mais ils peuvent considérablement réduire l’exposition de votre bébé.
6. Sevrage tabagique et allaitement : quelles options existent ?
L’allaitement peut être une vraie motivation pour diminuer ou arrêter le tabac.
Plusieurs solutions existent :
Substituts nicotiniques (patchs, gommes, sprays) : autorisés pendant l’allaitement, ils sont préférables aux cigarettes. Les gommes ou sprays doivent être utilisés après la tétée. Les patchs diffusent de la nicotine en continu, à dose faible : il est conseillé de les retirer la nuit.
Accompagnements non médicamenteux : hypnothérapie, acupuncture, relaxation, thérapies cognitivo-comportementales. Même si leur efficacité n’est pas toujours démontrée scientifiquement, elles peuvent soutenir la démarche.
Médicaments de sevrage : certains (comme le bupropion ou la varénicline) ne sont pas recommandés pendant l’allaitement, par manque de recul sur leur sécurité.
7. Cigarettes électroniques et allaitement : ce que l’on sait vraiment
De plus en plus de mères se tournent vers la cigarette électronique, pensant qu’elle est plus « douce » que le tabac.
Les recherches montrent en effet moins de substances toxiques et cancérigènes que le tabac, mais certaines passent probablement dans le lait. Et à ce jour, nous ne disposons pas d’études solides sur les effets chez le bébé allaité.
Les autorités sanitaires en France ne recommandent pas l’e-cigarette comme solution de sevrage chez la femme allaitante. Cependant, les experts anglais et américains soulignent que si la mère vapote, il vaut mieux poursuivre l’allaitement que l’arrêter.
Conclusion
Fumer et allaiter n’est pas idéal, mais allaiter reste toujours préférable à ne pas allaiter, même si vous n’avez pas arrêté de fumer. Le lait maternel continue de protéger votre bébé, et certaines précautions simples permettent de réduire son exposition. Si vous en avez la possibilité, faire appel à un·e professionnel·le de santé ou à une consultante en lactation IBCLC peut vous aider à trouver un équilibre entre vos besoins et ceux de votre enfant, sans culpabilité inutile.
et j'en parle aussi dans cet article paru sur Magicmaman
FAQ – Vos questions fréquentes
1. Est-ce que je dois arrêter d’allaiter si je fume ? Non. Même si vous fumez, votre lait reste bénéfique pour votre bébé. Il vaut mieux continuer à allaiter tout en réduisant votre consommation si possible.
2. Combien de temps attendre après une cigarette avant d’allaiter ? Idéalement, attendez 2 heures après avoir fumé pour mettre votre bébé au sein. Cela réduit la quantité de nicotine transmise par le lait.
3. Puis-je utiliser la cigarette électronique pendant l’allaitement ? Il n’existe pas assez d’études pour affirmer que c’est sans risque. Mais les experts considèrent qu’il vaut mieux continuer à allaiter, même en vapotant, plutôt que d’arrêter.
4. Quelles solutions existent pour m’aider à arrêter de fumer ? Les substituts nicotiniques (patchs, gommes, sprays) sont autorisés et plus sûrs que le tabac. Des approches comme l’hypnothérapie, l’acupuncture ou la relaxation peuvent aussi soutenir votre démarche.
Je vous recommande quelques lectures 😉 :
Mon allaitement sur mesure (Éd. Albin Michel, 2020)
Choisir d’allaiter (Éd. First, 2022)
L'allaitement pour les nuls (Ed. First, 2024)
Références
Santé Publique France. Enquête périnatale 2021.
Anderson P. O. Breastfeeding with Smoking Cessation Products. Breast Med Vol 16(10). LactMed Update.
Breastfeeding Network. Wendy Jones. Smoking, smoking cessation and breastfeeding. 2019.
Haute Autorité de Santé. Recommandations de Bonne pratique. Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours. 2014.
Mohrbacher N. Breastfeeding Answers. A guide for helping families. 2nd edition. 2020. Consulté le 22/09/2022 (Disponible au prêt chez IPA) 7. Tabac Info Services. Question-réponses. Tabac et allaitement.
Miranda RA, et al. Tobacco smoking during breastfeeding increases the risk of developing metabolic syndrome in adulthood: Lessons from experimental models. Food Chem Toxicol. 2020 Oct;144:111623.
Academy of Breastfeeding Medicine. Protocol 21. Guidelines for Breastfeeding and Substance Use or Substance Use Disorder, Revised 2015. Med Vol 10 (3) 2015.
Haute Autorité de Santé. Sevrage tabagique des outils pour repérer et accompagner les patients. 2018.
Centre de Référence des Agents Tératogènes. Feuillet Substituts nicotiniques.
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