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Le manque de lait : mythes et réalités


Crédit photo : Renaud Caillé
Crédit photo : Renaud Caillé

Pour qu’un nourrisson grandisse et prenne du poids correctement, il a besoin de recevoir suffisamment de lait — et donc d’une production adaptée. Cela peut sembler une lapalissade. Pourtant, comme les seins ne sont pas gradués, il est facile de douter et de s’inquiéter, ce qui est tout à fait compréhensible. Depuis l’Antiquité, les écrits relatent que les mères craignaient de ne pas produire assez de lait. Aujourd’hui encore, cette inquiétude reste l’une des principales causes de sevrage précoce. Cet article explore les données scientifiques sur la production de lait, les méthodes pour l’évaluer, les facteurs qui l’influencent, et propose des conseils pour accompagner les parents avec confiance et sérénité.


Sommaire


"Je n'ai pas assez de lait", cette peur tenace


Beaucoup de mères vivent avec cette inquiétude au quotidien. Il n’est pas rare d’entendre : « Mon bébé semble encore avoir faim après la tétée… je n’ai pas assez de lait ». Dans un centre hospitalier spécialisé, près de 44 % des femmes consultent précisément pour cette raison (Kent et al., 2021). C’est une peur profondément humaine, nourrie par l’amour et le désir de bien faire pour son enfant.



On a dû faire lait maternel + complément
On a dû faire lait maternel + complément

Parfois, cela mène à ajouter un complément (de lait infantile), et la culpabilité peut s’installer. Pourtant, il est essentiel de distinguer perception et réalité : ressentir que la production de lait est insuffisante ne signifie pas systématiquement qu’elle l’est réellement. Des études (Coward et al., 1979; Coward et al., 1982) montrent que cette perception peut être validée — ou infirmée — par des mesures objectives.


Heureusement, vous n’êtes pas seule face à cette inquiétude. Un soutien adapté, et des stratégies testées et validées par les mamans peuvent transformer cette appréhension en confiance. Il s’agit non seulement d’optimiser votre production de lait, mais aussi de vous rassurer sur vos capacités. Parce qu’au final, un allaitement réussi repose autant sur le soutien et l’écoute que sur la physiologie.



Plus on retire du lait et plus on en produit


La production de lait maternel repose sur un principe simple mais puissant : plus le sein est stimulé et vidé, plus il produit. Ce phénomène repose sur un mécanisme appelé contrôle autocrine, propre à chaque glande mammaire.


Après la naissance, la mise en place de la lactation est déclenchée par une chute hormonale et une vidage fréquent et efficace des seins est fondamentale pour établir et maintenir la production de lait — soit par l’allaitement direct, soit par expression au tire-lait ou même à la main — car cette stimulation envoie un signal au corps pour maintenir et ajuster la production en fonction de la demande.

  • La production se stabilise généralement entre la 1ʳᵉ et la 2ᵉ semaine (Kent et al., 2016; Hill et al., 2005).

  • La production à 2 semaines prédit souvent celle à 6 semaines.

  • Les tétées nocturnes sont importantes : les nourrissons de moins de 9 semaines consomment 20 % de leur apport journalier entre 22 h et 4 h (Kent et al., 2006; Yamauchi & Yamanouchi, 1990).


Ainsi, la fréquence et la qualité de la stimulation sont essentielles : des tétées fréquentes favorisent non seulement la quantité, mais aussi le maintien de la lactation. C’est pour cette raison qu'il est recommandé de répondre aux besoins du nourrisson plutôt que de se fixer sur un horaire strict.


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💡 Prudence à ce propos avec certaines confusions. On entend tellement qu'il faut donner de bonnes habitudes de sommeil au bébé dès ses premières semaines que le sommeil est parfois davantage valorisé que la nutrition. Notez qu'il est normal qu'un nourrisson s'endorme au sein une fois repu.


Variations normales de la production de lait

La production varie beaucoup d’une mère à l’autre :

Mesure

Moyenne

Plage

Apport lait 24 h

788 mL

478–1356 mL

Tétées simples/jour

11

6–18

Volume transféré/tétée

76 mL

0–240 mL

Tétées multiples/jour

8

4–13

Volume total transféré

101 mL

0–350 mL

Teneur en graisses

41 g/L

22–61 g/L

Graisses totales consommées

32 g

5–50 g


Certaines études montrent aussi que un sein peut produire plus que l’autre, souvent le droit, mais pas toujours (Engstrom et al., 2007). Il est donc important de calculer l’apport de chaque sein séparément (Mitoulas et al., 2002; Cox et al., 1996; Khan et al., 2013).


J'ai obtenu 710 mL...
J'ai obtenu 710 mL...

Qu'est-ce qui influence la production de lait ?


Plusieurs facteurs peuvent jouer :

  • Âge maternel : aucune réduction significative entre 15 et 42 ans (Dewey et al., 1986; Winocour & Lemaine, 2013).

  • Parité : biologiquement, des grossesses précédentes peuvent influencer la production dans les lactations ultérieures, même si l’effet est moins marqué chez l’humain. (Dos Santos et al., 2015).

  • Sexe du nourrisson : les garçons consomment en moyenne 80–100 mL de plus que les filles (Kent et al., 2006), reflétant une plus grande capacité de stockage mammaire.


D’autres facteurs génétiques et physiologiques peuvent influencer le volume produit, comme des variantes du transporteur de zinc ZnT2 associées à une faible production (Rivera et al., 2020).




Le lait pas nourrissant n'existe pas !


Cette croyance, profondément ancrée dans les discours familiaux et parfois même véhiculée par des professionnels de santé, est non seulement fausse mais aussi délétère pour la confiance des mères dans leur capacité à nourrir leur enfant.


Le lait maternel n’est jamais de “mauvaise qualité”. Sa composition est extraordinairement stable et adaptée aux besoins du nourrisson. Que vous allaitiez depuis 3 jours, 3 mois ou 3 ans, le lait contient toujours les nutriments, graisses, protéines, glucides, vitamines et minéraux indispensables à la croissance et au développement du bébé.



Plus encore, il évolue en fonction de l’âge de l’enfant, de ses besoins spécifiques, de l’heure de la journée ou encore de l’état de santé de la mère et de l’enfant. Par exemple :

  • Le colostrum, les premiers jours, est ultra-concentré en anticorps et en protéines protectrices. Il est même considéré comme un premier vaccin

  • Le lait de transition puis le lait mature s’ajustent aux besoins énergétiques et de croissance. Leur composition est en terme de macro-nutriments est la même d'une mère à une autre

  • Même après un an, le lait reste une source importante de graisses, de protéines et d’immunoglobulines. Il n'y a pas de raison de remettre en cause sa valeur.

En d’autres termes, il n’existe pas de lait maternel « pauvre » ou « pas assez nourrissant ».

Je vous recommande quelques lectures 😉 :

Votre bébé a besoin d'un coup de pouce ?


Lorsqu’un bébé ne grossit pas suffisamment, la cause ne réside pas dans la composition du lait, mais presque toujours dans la manière dont le lait est transféré :

  • Le bébé ne parvient pas à téter efficacement (mauvaise prise du sein, lactation trop faible, réflexe de succion immature, etc.).

  • Les mises au sein sont trop espacées ou trop limitées dans la durée.

  • Des compléments de lait artificiel donnés trop tôt réduisent la stimulation du sein et donc la production.


Dans tous ces cas, ce n’est pas le lait qui est en cause, mais la dynamique de l’allaitement.


En pratique, comment aider votre bébé ?

Tout d’abord, ne pas avoir d’attente irréaliste sur ses capacités, s’armer de patience et s'appuyer sur les conseils et le soutien de professionnels avertis.


Commencer par le garder en proximité le plus souvent et le plus longtemps possible. Votre corps est son habitat et cela aide l’émergence de son comportement optimal ainsi que l’établissement de la lactation ; ce qui n’empêche pas d’être relayée bien sûr par une autre personne. Ce contact permet de repérer les brefs instants favorables à son expérience sur le sein.


Ses manifestations d’activité de recherche du sein peuvent être très discrètes : il convient d'être très prompte dès ses premiers signes de sommeil actif.

  • Ne surtout pas appliquer de règle horaires imposées ou prescrites, et lui proposer de se nourrir au moins 12 fois voire 18 fois si nécessaire par 24 heures.

  • Pratiquer la compression mammaire.

  • Lui proposer ensuite un supplément de lait exprimé. Ce supplément diminuera progressivement en quantité au fur et à mesure que ses compétences au sein s'amélioreront.


Ne comparez pas votre production avec celle d’autres mères. Faites confiance à votre bébé et à votre corps, et demandez conseil à un IBCLC si vous avez des doutes.



Toutes les grandes instances de santé publique (OMS, UNICEF, HAS, Académie de Médecine) s’accordent pour avancer que le lait maternel est l’aliment de référence pour le nourrisson, et ce aussi longtemps que vous le décidez pour votre enfant. Il n'y a pas de limite ni de date de péremption.



Références :


  • Kent J.C., Ashton E., Hardwick C.M., Rea A., Murray K., Geddes D.T. (2021) - Causes of perception of insufficient milk supply in Western Australian mothers. Matern. Child Nutr., 17:e13080.

  • Kent J.C., et al. (2006) - Volume and frequency of breastfeedings and fat content of breast milk throughout the day. Pediatrics, 117:e387–e395.

  • Kent J.C., Hepworth A.R., Langton D.B., Hartmann P.E. (2015) - Impact of Measuring Milk Production by Test Weighing on Breastfeeding Confidence in Mothers of Term Infants. Breastfeed. Med., 10:318–325.

  • Kent J.C., Gardner H., Lai C.T., Hartmann P.E., Murray K., Rea A., Geddes D.T. (2018) : Hourly Breast Expression to Estimate the Rate of Synthesis of Milk and Fat. Nutrients, 10:1144.

  • Engstrom J.L., Meier P.P., Jegier B., Motykowski J.E., Zuleger J.L. (2007) - Comparison of milk output from the right and left breasts during simultaneous pumping in mothers of very low birthweight infants. Breastfeed. Med., 2:83–91.Contexte : Analyse des différences de production entre les seins.Utilité : Souligne l’importance de considérer chaque sein séparément lors de l’évaluation de l’apport infantile.

  • Mitoulas L.R., Kent J.C., Cox D.B., Owens R.A., Sherriff J.L., Hartmann P.E. (2002) - Variation in fat, lactose and protein in human milk over 24 h and throughout the first year of lactation. Br. J. Nutr., 88:29–37.

  • Dewey K.G., Finley D.A., Strode M.A., Lonnerda L.B. (1986) - Relationship of maternal age to breast milk volume and composition. In: Hamosh M., Goldman A.S. (Eds.), Human Lactation 2, Plenum Press, New York, pp. 263–273.

  • Dos Santos C.O., Dolzhenko E., Hodges E., Smith A.D., Hannon G.J. (2015) - An epigenetic memory of pregnancy in the mouse mammary gland. Cell Rep., 11:1102–1109.

  • Rivera O.C., Geddes D.T., Barber-Zucker S., Zarivach R., Gagnon A., Soybel D.I., Kelleher S.L. (2020)- A common genetic variant in zinc transporter ZnT2 (Thr288Ser) is present in women with low milk volume and alters lysosome function and cell energetics. Am. J. Physiol. Cell Physiol., 318:C1166–C1177.


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