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Moins de 25 % des bébés sont encore allaités à 6 mois en France.

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Moins d’un quart des bébés en France sont allaités exclusivement à 6 mois. Dans un pays à la médecine moderne et accessible, comment expliquer ce paradoxe  ? Histoire, pratiques médicales, inégalités culturelles et manque de formation se conjuguent pour rendre difficile la mise en œuvre des recommandations de l’OMS.


Moins de 25% des nourrissons sont encore allaités à 6 mois - Crédit photo Renaud Caillé
Moins de 25% des nourrissons sont encore allaités à 6 mois - Crédit photo Renaud Caillé

Sommaire


Un écart frappant avec les recommandations internationales


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un allaitement exclusif pendant les six premiers mois de vie, et la poursuite de l’allaitement avec une alimentation complémentaire jusqu’à deux ans ou plus (OMS, 2023). Pourtant, en France, moins de 25 % des bébés sont encore allaités à six mois (Étude Epifane, 2021), contre 44 % dans le monde (UNICEF, 2021).

Ce chiffre questionne. Pourquoi un tel écart dans un pays où les soins de santé sont accessibles et où la qualité des maternités est globalement élevée ?



Des disparités géographiques persistantes


Les données françaises révèlent d’importantes disparités : on allaite davantage dans l’Est et le Sud que dans le Nord et l’Ouest du pays. Ce schéma géographique est observé depuis plus d’un siècle (Dettwyler, 1995).


Dans certaines régions, les traditions culturelles et la transmission intergénérationnelle du savoir-faire autour de l’allaitement ont mieux résisté aux mutations sociétales. À l’inverse, dans des zones marquées par une industrialisation précoce, une forte médicalisation et une valorisation du travail féminin hors foyer, l’allaitement s’est effacé plus rapidement, remplacé par les laits industriels.


Ces disparités suggèrent que les politiques locales, la culture et le soutien communautaire jouent un rôle majeur dans le maintien de l’allaitement.



Les pratiques médicales, un héritage encore lourd


L’histoire médicale française explique en partie la situation actuelle. Au XXe siècle, la modernisation des maternités a été synonyme de séparation systématique mère-enfant, d’horaires fixes d’alimentation et d’une confiance absolue dans les laits industriels. Ces pratiques, encore perceptibles dans certaines maternités, sont contre-productives : elles nuisent à la mise en route de la lactation et fragilisent la motivation des mères (Victora et al., 2016).Dans L’allaitement pour les nuls (Mazurier, Mermilliod, Hervé, 2023), nous rappelons que l’introduction précoce et injustifiée de substituts peut réduire drastiquement la durée de l’allaitement exclusif.


Certes, des compléments sont parfois nécessaires pour des raisons médicales : hypoglycémie, ictère sévère, maladie métabolique… Mais trop souvent, on les propose sans indication solide, par réflexe culturel ou pour « rassurer », ce qui compromet la poursuite de l’allaitement.

Utiliser un complément intelligemment, c'est un moyen de préserver l'allaitement
Utiliser un complément intelligemment, c'est un moyen de préserver l'allaitement

Quand les compléments deviennent la norme


L’introduction précoce de lait infantile est un frein bien documenté à l’allaitement prolongé (Kent, 2007). Cette pratique est perçue comme « normale » dans de nombreuses maternités françaises, alors qu’elle devrait rester une exception justifiée et temporaire.


Ce recours systématique aux biberons participe à la diffusion d’un message implicite : l’allaitement serait fragile, incertain, et ne suffirait pas toujours à nourrir un nouveau-né. Cette croyance alimente la peur des mères et leur manque de confiance en leurs capacités.



La Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (Global Strategy for Infant and Young Child Feeding, OMS & UNICEF, 2003) est le cadre international de référence en matière d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, notamment sur la place des compléments et des substituts du lait maternel.

Son objectif est d'assurer une nutrition optimale pour tous les enfants dès la naissance, en promouvant l’allaitement maternel et une alimentation complémentaire appropriée, afin de réduire la morbidité et la mortalité infantiles et d’améliorer la santé à long terme.



Les recommandations internationales sont pourtant claires


  • Allaitement exclusif jusqu’à 6 mois

L’enfant ne reçoit que du lait maternel pendant les 6 premiers mois (pas d’eau, ni tisanes, ni substituts), sauf indications médicales.Le lait maternel couvre tous les besoins nutritionnels et immunitaires.


  • Poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans ou plus

À partir de 6 mois, des aliments complémentaires nutritifs et sûrs sont introduits progressivement, tout en maintenant l’allaitement.


La Stratégie mondiale précise que :

  • Les substituts du lait maternel (formules infantiles) ne doivent être utilisés qu’en cas d’absolue nécessité médicale, et sous contrôle d’un professionnel formé.

  • Leur distribution et leur promotion doivent respecter le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel (OMS, 1981), qui interdit la publicité directe ou indirecte aux parents et les dons aux professionnels.

  • Dans les maternités, l’allaitement doit être soutenu par la mise en œuvre des Dix conditions pour le succès de l’allaitement maternel (Initiative Hôpitaux amis des bébés).



Le recours aux compléments systématiques, pour « rassurer » ou « compléter » en l’absence d’indication médicale, est déconseillé, car il réduit la stimulation de la lactation et favorise un sevrage précoce.


"faire sortir rapidement..."
"faire sortir rapidement..."

Lorsqu’un bébé reçoit des biberons de lait infantile, cela diminue la stimulation du sein et donc la production lactée (puisque la production s’adapte à la demande). Mais il est tout à fait possible de limiter l’impact des compléments et même de les réduire progressivement, en adoptant les bons gestes.


Pour chaque complément donné, prélevez votre lait (si possible)

  • Si votre bébé reçoit un biberon, profitez-en pour tirer votre lait en même temps.

  • Si vous ne pouvez pas tirer à chaque complément, essayez d’ajouter 1 à 2 sessions de tirage dans la journée, notamment après une tétée et/ou en soirée.

Le tirage peut être fait à la main ou au tire-lait, idéalement avec un bon tire-lait double pompage.


Augmenter la fréquence des tétées

  • Proposez le sein à la demande, sans limitation de durée ou d’intervalle.

  • N’attendez pas les pleurs : mettez votre bébé au sein aux premiers signes d’éveil (mouvements de bouche, mains à la bouche, agitation…).

  • Ne sautez pas les tétées nocturnes : la prolactine est plus élevée la nuit, ce qui favorise la production de lait.

Idéalement, viser au moins 8 à 12 stimulations par 24h (tétées + tirages) pour relancer la lactation. Il sera parfois plus intéressant encore de dépasser ce chiffre et d'atteindre 18.


Optimiser l’efficacité des tétées

Un bébé peut téter souvent… sans extraire beaucoup de lait si la prise du sein est mauvaise.

Proposez les deux seins à chaque tétée pour stimuler davantage.

Essayez la compression du sein pendant la tétée pour encourager bébé à avaler plus.


Réduire progressivement les compléments

Une fois que la lactation reprend du tonus :

  • diminuez la quantité de compléments très progressivement (par 15–30 mL par jour en moyenne, selon la prise de poids et la satiété du bébé),

  • surveillez la courbe de poids du bébé pour vous assurer qu’il continue de grandir normalement.

Ne jamais arrêter brutalement sans accompagnement : un suivi médical et/ou avec une IBCLC est recommandé.


À partir de 6 mois, la Stratégie recommande d’introduire des aliments solides :

  • suffisants en énergie et micronutriments,

  • préparés de façon hygiénique,

  • adaptés aux capacités et à l’appétit de l’enfant,

  • tout en continuant à allaiter à la demande.



Des professionnels de santé peu formés


Le rôle des soignants est pourtant central. Or la formation initiale des médecins, sages-femmes et infirmières sur l’allaitement reste largement insuffisante en France (Rollins et al., 2016). Les internes en début de cursus sont souvent plus favorables à l’allaitement que leurs aînés, témoignant d’un recul progressif de la culture de l’allaitement dans la pratique clinique.


Nombre de mères relatent encore aujourd’hui des conseils incohérents ou contradictoires, des incitations précoces au sevrage ou des jugements implicites sur leur choix. Le soutien attendu — compétent, bienveillant, personnalisé — fait parfois cruellement défaut, renforçant le sentiment d’échec des mères qui rencontrent des difficultés.


Revoir les bases, c'est fondamental
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Un soutien systémique encore insuffisant


La réussite de l’allaitement repose aussi sur un environnement favorable. Congé maternité trop court, manque de soutien postnatal, absence de campagnes nationales de promotion : la France n’a pas encore mis en œuvre une stratégie cohérente pour accompagner durablement les mères dans leur projet d’allaiter (UNICEF, 2021).


Le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel, adopté par l’OMS dès 1981, reste imparfaitement appliqué en France. La publicité des laits industriels continue d’influencer les mères et le corps médical, brouillant les messages de santé publique.


Et si l’allaitement jouait un rôle de compensateur social ?


C’est ce qu’affirmait déjà James P. Grant, Directeur général de l’UNICEF entre 1980 et 1995. Selon lui, « l’allaitement maternel est un filet de sécurité naturel contre les pires effets de la pauvreté… l’allaitement exclusif contribue largement à réduire l’écart de santé entre un enfant né dans le dénuement et un autre né dans l’aisance. On pourrait presque dire que l’allaitement soustrait temporairement le nourrisson à la pauvreté pendant ces mois cruciaux, lui offrant un départ plus équitable et compensant, en partie, les injustices du monde dans lequel il arrive. »


Une vision partagée par la WABA à l’occasion de la SMAM 2024. L’organisation rappelle que « l’allaitement peut agir comme un puissant égalisateur dans nos sociétés. Il est essentiel de garantir à chacun·e un soutien et des opportunités équitables en matière d’allaitement, afin que personne ne soit laissé·e de côté — en particulier les mères les plus fragiles, qui nécessitent souvent un accompagnement renforcé pour réduire les inégalités. »


Elle appelle ainsi l’ensemble des acteurs — membres de la warm chain de l’allaitement, organisations de la société civile, gouvernements, responsables politiques, systèmes de santé, milieux professionnels, communautés et parents — à s’engager pour soutenir l’allaitement afin qu’il soit réellement accessible à tous, y compris aux groupes les plus vulnérables.




Soutenir sans imposer


Allaiter ne devrait pas être un privilège réservé à celles qui sont bien informées, bien entourées ou bien situées.Soutenir l’allaitement, ce n’est pas imposer un choix : c’est garantir à chaque mère les conditions pour faire le sien, librement et en confiance.

Pour que la France se rapproche des objectifs de l’OMS, il faudra renforcer la formation des soignants, développer les campagnes publiques d’information, assurer un soutien localisé et prolongé, adapter la durée des congés et revaloriser l’allaitement comme un choix éclairé et respecté.


Comme le résume l’UNICEF : « Allaiter, c’est donner à chaque enfant un départ optimal dans la vie. » La France a les moyens d’inverser la tendance. Ne laissons pas passer cette opportunité.


Alors… on s’y met ?


📖 À lire et partager 


Références


  • Étude Epifane, Santé publique France, 2021. Résultats sur les pratiques alimentaires des nourrissons en France.

  • Moore ER, Bergman N, Anderson GC, Medley N. Early skin-to-skin contact for mothers and their healthy newborn infants. Cochrane Database Syst Rev. 2016;(11):CD003519. doi:10.1002/14651858.CD003519.pub4

  • Kent JC. How breastfeeding works. J Midwifery Womens Health. 2007;52(6):564–570. doi:10.1016/j.jmwh.2007.07.004

  • Victora CG, Bahl R, Barros AJD, et al. Breastfeeding in the 21st century: epidemiology, mechanisms, and lifelong effect. The Lancet. 2016;387(10017):475–490. doi:10.1016/S0140-6736(15)01024-7

  • Rollins NC, Bhandari N, Hajeebhoy N, et al. Why invest, and what it will take to improve breastfeeding practices? The Lancet. 2016;387(10017):491–504. doi:10.1016/S0140-6736(15)01044-2

  • UNICEF, Infant and young child feeding. 2021.

  • OMS & UNICEF. Global Strategy for Infant and Young Child Feeding. 2003. : https://www.who.int/publications/i/item/9241562218

  • OMS. Code international de commercialisation des substituts du lait maternel. 1981.

  • Victora et al. Breastfeeding in the 21st century: epidemiology, mechanisms, and lifelong effect. Lancet. 2016.

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