Le co-allaitement en pratique
- Carole HERVE
- 1 sept.
- 9 min de lecture

Lorsque l’on découvre une nouvelle grossesse alors que l’on allaite encore son enfant, mille questions surgissent. Dois-je sevrer ? Est-ce que c’est bon pour lui ? Pour moi ? Pour le bébé à venir ? Le co-allaitement – le fait d’allaiter un nourrisson et un enfant plus âgé en même temps – est une pratique peu visible, souvent entourée d’idées reçues, mais bien plus fréquente qu’il n’y paraît.
Dans cet article, je vous propose de faire le point sur les enjeux concrets du co-allaitement : les bénéfices, les difficultés possibles, les ressentis physiques et émotionnels, la place du co-parent, les besoins de l’aîné, et la façon dont tout cela peut s’organiser au quotidien. Que vous envisagiez de poursuivre l’allaitement pendant votre grossesse ou que vous soyez déjà engagée dans cette belle aventure, vous trouverez ici des repères pour éclairer votre choix, sans pression ni culpabilité.
Sommaire
Mais pourquoi donc faire du co-allaitement ?
Vous prenez du plaisir dans votre allaitement et vous venez d’apprendre que vous êtes enceinte à nouveau. Vous envisagez le co-allaitement. Allaiter deux enfants d’âge différent est une pratique courante bien que peu connue car les mères se montrent généralement discrètes dans sa pratique. Et c’est compréhensible, compte-tenu des remarques et critiques dont elles peuvent être la cible.
L’allaitement long : un sujet sensible
Dans la société occidentale, l’allaitement long provoque souvent des jugements inutiles et assez difficiles à vivre pour une jeune mère. Il amène des remarques de la part de personnes qui sont étonnées de cette pratique qu’elles jugent inappropriée. Pourtant ces réprobations sont le reflet d’une opinion personnelle et nul ne devrait se permettre de juger de ce qu’il ne connaît pas. Vous n’avez nullement à vous justifier. Si certains avancent des arguments sur la santé émotionnelle de l’enfant, encouragez-les à lire un ouvrage très bien fait et intitulé « L’allaitement long expliqué à mon psy » d’Agnès Vigouroux, éditions Le Hêtre. Il permettra d’enrichir leur réflexion.
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La décision de co-allaiter vous appartient
Quoi qu’il en soit, de nouveaux sentiments font surface. Une grossesse seule amène son flot de projections, de doutes, de moments de joie aussi. Et si l’allaitement est l’expression de la continuité de la première grossesse, nul ne vous oblige à décider d’une cassure nette à mesure qu’une nouvelle grossesse est entamée. Chacune a la capacité de trouver un chemin qui lui correspond et qui ne lui est pas dicté par autrui. Il est normal que vous vous sentiez hésitante à la perspective d’allaiter deux enfants d’âge différent.
S’il est juste de discuter du projet d’allaitement dans un couple, c’est à la mère que la décision de pratiquer un co-allaitement appartient.
La grossesse incite la mère à se recentrer sur l'enfant à venir, et amène de nombreuses mères à décider de sevrer. Le fait de pouvoir en parler pourra vous aider à faire le point sur vos sentiments souvent ambivalents, et à vous sentir moins vulnérables notamment vis à vis des vives émotions que vous pourriez ressentir. En effet, certaines subissent un changement hormonal tel qu’il provoque chez elles des sentiments d’hostilité, d’agressivité vis à vis de leur grand enfant.
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Elles souhaitent l’allaiter et se sentent prêtes à le repousser. Cela se produit tout au long de la grossesse et les manifestations s’intensifient parfois au moment où la mère entame le troisième trimestre de sa grossesse, au cours duquel la lactation diminue progressivement, et que les seins sécrètent à nouveau du colostrum.
Lire aussi Doctissimo : Couple lesbien : peut-on allaiter quand on n'est pas la mère biologique ?
Grossesse, allaitement et événements indésirables
La survenue d'une nouvelle grossesse provoque parfois certaines manifestations physiques peu agréables dont certaines peuvent être liées à l’allaitement, ex. : les mamelons sont plus sensibles. Pour une mère qui a du mal à supporter ne serait-ce que son soutien-gorge, les tétées ne seront pas une partie de plaisir. C’est l’une des raisons qui poussent certaines mères à sevrer leur enfant plus âgé. D’autres décident de poursuivre leur allaitement.
Au cours des premières semaines du post-partum, d'importants ajustements se produisent. Et une décision prise un jour peut devenir complètement obsolète le lendemain.
Le co-allaitement présente-t-il des avantages pour l'aîné des deux enfants ?
La réponse est oui. Les bénéfices de l’allaitement sont dose-dépendants. Plus longtemps un bébé est allaité et plus les bénéfices seront visibles chez lui comme chez sa maman et cette notion n’a pas de date de péremption.
Pour ne citer qu’un exemple, une méta-analyse menée par Harder en 2005 suggère que, pour chaque mois supplémentaire d'allaitement, le risque de surcharge pondérale serait réduit de 4 %.
Les points abordés en consultation autour du co-allaitement
Lorsque je discute avec une mère du co-allaitement, je vais évoquer avec elle :
l'âge de son enfant en cours d'allaitement
les besoins de cet enfant tels qu’elle les perçoit
les manifestations physiques et émotionnelles éventuellement désagréables ou douloureuses qu’elle éprouve
celles qu’elle pourrait ressentir à mesure que la grossesse évolue, qu’elle allaitera un autre enfant
son expérience, son entourage
le type de soutien qu’elle peut recevoir· ses antécédents tels que fausse couche, saignements utérins, accouchement prématuré...
Pourquoi certaines mères choisissent de poursuivre l’allaitement ?
Généralement, parce qu'elles ont conscience que leur jeune enfant a des besoins nutritionnels et affectifs que l’allaitement couvre facilement, et qu'elles ne souhaitent pas l’en priver. D'autres mères constatent qu’il est difficile de trouver un substitut qui convienne à leur enfant dans un contexte de fragilité du système immunitaire, par exemple, ou bien d’allergies. Elles choisissent alors de continuer d'allaiter afin d'apporter le meilleur à leur enfant.
Avec un soutien matériel et émotionnel adapté, la mère pourra facilement traverser cette période transitoire, et retrouver ensuite la stabilité émotionnelle qui lui permettra de vivre (à peu près) sereinement le co-allaitement.
Le co-allaitement engendre-t-il des rivalités ?
Les mamans ont de bonnes raisons de croire que le co-allaitement peut favoriser la création du lien dans la fratrie. Il est à noter que le sentiment de jalousie qui survient à l’arrivée d’un nouvel enfant est parfaitement normal et qu’il n’est pas à réprimer.
Les signes de rivalité avec le bébé sont courants et sont, la plupart du temps, tournés vers les parents plutôt vers le frère ou la soeur. Le bambin se montre plus demandeur d’attention, plus espiègle peut-être, et peut avoir des moments de régression.
Gardons à l’esprit que l'aîné reste très dépendant de sa mère. Lui permettre de continuer à téter s'il le souhaite pourra lui apporter un sentiment de sécurité, ainsi que la certitude que le nouvel arrivant ne le prive pas de sa maman.
La sécrétion lactée sera-t-elle suffisante ?
Le bon sens, et le plus grand des deux enfants le comprend très bien, consiste à offrir le sein au plus jeune en premier lieu. La sécrétion lactée de la maman s’adapte à cette sursimulation. De même qu’une maman de jumeaux a de quoi nourrir deux tout-petits, une maman qui allaite deux enfants d’âge différent a une sécrétion lactée qui va s’adapter à ce qui est retiré des seins.
Une des mamans que j’accompagne a ainsi remarqué que son bébé n’avait pas une succion aussi efficace que son grand frère. Elle a alors proposé le sein très souvent à la petite et sollicité l’aîné pour stimuler sa sécrétion lactée puisque sa succion était douce mais sensiblement plus efficace que celui du nourrisson. Cela a permis à la maman d’éviter d’avoir recours à la compression mammaire ou à un tire-lait pour optimiser le drainage de ses seins.
Le sevrage du grand enfant pendant la grossesse
Une étude réalisée sur des mères qui allaitaient toujours au début de leur grossesse a montré que 57% des enfants se sevraient spontanément pendant la grossesse (Moscone, 1993). Toutefois, rien ne permet d'affirmer que la grossesse est à l'origine de ce sevrage, la plupart des enfants étant arrivés à un âge où bon nombre d'entre eux se seraient sevrés de toute façon : certains bébés n’aiment pas le changement de composition du lait, ils le verbalisent même parfois en évoquant un lait plus salé. Certaines mères aussi évoquent une plus grande sensibilité des sein liée à des changements hormonaux.
Si vous êtes confrontée à des moments de doutes ou que vous souhaitez sevrer votre enfant, voici quelques astuces qui pourraient vous aider :
Expliquez votre décision à votre enfant avec authenticité, sincérité, de manière simple et claire.
Appuyez-vous sur votre co-parent pour passer le relais.. si vous ressentez de la culpabilité, tentez d’identifier ce qui nourrit ce sentiment
Soyez à l’écoute des besoins de votre enfant : il a le droit d’être triste, malheureux, de l’exprimer.
Soyez plus présente, prenez un temps pour lui parler de la suite, aidez-vous de livres
Et puis parfois, on se fait toute une montagne d'un changement et cela se passe sans heurts... On ne sait jamais. Il faut se lancer dans ce nouveau défi avec optimisme car il apportera aussi plein de belles choses en journée.
Quand le co-allaitement se met en place sans que l’on s’y attende
Même s'il s'était sevré pendant la grossesse, le plus grand enfant pourra redemander à téter lorsque le bébé sera là. De nombreux enfants demandent le sein pour savoir si leur mère accepte ou non. Une fois qu’elle accède à leur demande, certains tètent, puis se détournent du sein. D’autres se remettent à téter de plus belle et peuvent ainsi contribuer à juguler un éventuel engorgement. La tétée ne représente plus alors l’essentiel de la source alimentaire de l’enfant mais un bonus fort apprécié, qui est aussi propice à un recentrage lorsque des émotions fortes sont vécues. Par exemple, un enfant a eu peur et il a besoin de téter pour se rassurer, il est tombé et le sein lui procure le réconfort recherché.
En outre, la maman va trouver des arrangements qui lui permettront de profiter d’un moment agréable. Alors q’un bambin a tendance à gesticuler alors qu’il tète, le nourrisson semble ronronner tout doucement. La maman pourra donner des règles et expliquer dans quel contexte elles acceptent d’allaiter le grand : ex.: dans une écharpe de portage, sur le canapé à tel moment de la journée.
Le plus important reste que la mère et ses deux enfants se sentent à l'aise dans cette relation.
En pratique, comment fait-on ?
Aucune mesure d'hygiène spécifique n'est nécessaire, sauf, éventuellement, en cas de maladie particulièrement contagieuse chez l'un des enfants. Certaines mères veillent en outre à rincer la bouche de leur aîné en lui faisant boire un peu d’eau s’il a mangé des aliments solides pour éviter que des résidus alimentaires ne viennent irriter le mamelon ou l’aréole. Le nourrisson est allaité à la demande, la satisfaction de ses besoins est évidemment prioritaire et la mère décide de la fréquence des tétées pour son aîné.
Certaines mères se sentiront à l'aise pour allaiter les deux enfants en même temps tandis que d’autres trouveront cela inconfortable. La force de succion sera différente, le poids de l’enfant et son rapport au corps de sa mère aussi. Tandis qu’un nourrisson se retrouve généralement collé-serré à sa maman, un plus grand aura plus tendance à remuer. La mère pourra offrir le sein de façon désynchronisée.
Et pensez à vous !
La grossesse et l'allaitement mobilisent les réserves de micronutriments de la mère pour répondre aux besoins du bébé. En cas de grossesses rapprochées, il est donc essentiel d'accorder une attention particulière aux apports nutritionnels afin de prévenir les carences. Un suivi personnalisé par une diététicienne, un micronutritionniste, ou un autre médecin spécialisé peut s’avérer précieux. Ces professionnels peuvent proposer des ajustements alimentaires et, si besoin, des compléments pour soutenir la maman dans cette période de grande sollicitation.
En conclusion
La décision de co-allaiter est un choix qui se mûrit au fil des semaines et peut être repensé à tout moment. Une jeune mère peut être confrontée à de nombreuses émotions. Même si elle était initialement très motivée, elle peut constater qu'en définitive le co-allaitement n'est pas pour elle, ou que son enfant semble se détourner définitivement du sein.
La plupart des mères éprouveront des sentiments très ambivalents, tout au moins à certains moments. Et il est bon qu’elles puissent trouver une oreille attentive pour déposer les sentiments qu’elles vivent à ce moment-là.
Si le co-allaitement ne fait courir aucun risque ni à la maman ni à ses enfants, la décision de le pratiquer s’appuie alors sur la façon dont la mère perçoit les besoins de son enfant le plus grand, de ses propres limites et du soutien qu'elle peut attendre de son entourage (de son partenaire en particulier).
Sources :
Harder T, Bergmann R, Kallischnigg G, Plagemann A. Duration of breastfeeding and risk of overweight: a meta-analysis. Am J Epidemiol 2005;162:397–403.
Moscone S, Moore J. Breastfeeding during pregnancy. JHL 9(2), 83-88, 1993· V Nichols-Johnson. Tandem nursing - before and after. ABM News and Views, vol 2, n°1, 6-7, 1996.·
The Breastfeeding Answer Book, revised edition. Pregnancy and tandem nursing, 344-52. LLLI, 1997· R Lawrence
Breastfeeding : a guide for the medical profession. Mosby, 4ème ed, 1994 ; 74-77
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