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« On m’a dit de tirer mon lait… au pire, on le jettera » — L’allaitement d’Élodie

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Élodie est ostéopathe, elle vit à Porto, au Portugal. Elle avait suivi une de mes formations sur le sommeil il y a peu de temps. Lorsqu’elle me recontacte fin 2024, elle m’apprend qu’enceinte de sa deuxième fille, on vient de lui diagnostiquer un cancer du cervelet. Elle va être opérée pendant la grossesse. Et une semaine avant son message, sa fille Gabriela était née à 30 semaines, par césarienne.


Peut-on vraiment allaiter quand tout semble s’y opposer ? Quand le corps est bousculé, quand le bébé naît trop tôt, quand les traitements médicaux s’accumulent et que les journées sont rythmées par les soins et les inquiétudes ? Malgré la césarienne, la prématurité, le cancer, la séparation, la peur — Élodie m’a posé cette question simple et bouleversante :

« Je voulais voir avec toi si je pouvais tirer mon lait pendant la radiothérapie qui va durer 6 semaines tous les jours au niveau de crâne et de la colonne ? »

Ce billet raconte son histoire. Celle d’un allaitement maintenu par la force du tire-lait, d’un don quotidien pour un bébé si petit, si fort. Une histoire vraie, puissante, qui remet en lumière le rôle vital du lait maternel pour les bébés prématurés… et ce que peut une mère, même dans les circonstances les plus extrêmes.


Sommaire



Pourquoi tirer son lait très tôt, même sans mise au sein ?


Lorsque le bébé est né prématurément ou que la mise au sein immédiate est impossible, l'expression précoce du colostrum devient un acte essentiel. Il ne s’agit pas seulement de récolter les premières gouttes précieuses, mais d’envoyer un signal puissant à l’organisme : « Ce bébé est là, il a besoin de lait. »


Saisir la fenêtre d'opportunité biologique
Saisir la fenêtre d'opportunité biologique

Dans les 6 premières heures après la naissance, les niveaux de prolactine sont naturellement élevés. C’est une fenêtre d’opportunité biologique : démarrer les tirages pendant cette période maximise les chances d’une montée de lait rapide et efficace.


Les travaux de Paula Meier nous ont même démontré que si on démarre l'expression de colostrum dans l'heure qui suit la naissance, on augmente encore les chances de réussite. Au-delà de 12 à 24 heures sans stimulation, ce potentiel diminue. Chez les mères séparées de leur bébé (comme en néonatologie), tirer dès que possible est donc une manœuvre de sauvegarde de la lactation.


Une montée de lait parfaite


Élodie est une femme forte, elle s’est battue sur tous les fronts.


Elle a tiré son lait très tôt après la naissance, et ce malgré l’épuisement, la séparation et les incertitudes. Elle m’écrivait :

« J’ai eu trois jours de colostrum, et la montée de lait juste après. Je tire toutes les 3 heures. Gabriela supporte super bien mon lait. Elle prend déjà 23 ml toutes les 3 heures, et rien d’autre. »

Du lait en abondance dès le début
Du lait en abondance dès le début

Son colostrum a impressionné les soignants

« Les infirmières m’ont dit que c’était de la crème. »

Très vite, Élodie tire 900 ml en 24 heures. Une quantité exceptionnelle, encore plus précieuse quand on sait que Gabriela est née à seulement 30 semaines.


Le calibrage de la lactation : poser les fondations

Les premiers jours sont également le moment où la lactation se « calibre ». Le corps maternel ajuste sa production à la fréquence et à l’intensité des stimulations reçues. Ce calibrage se fait principalement entre J3 et J15, où l’objectif est d’atteindre une production quotidienne autour de 750 ml de lait.


Plus la stimulation est fréquente et régulière (idéalement toutes les 2h30–3h, jour et nuit), plus les récepteurs hormonaux dans le sein sont nombreux. Ces récepteurs conditionneront la production des semaines et mois suivants. Une fréquence irrégulière ou trop espacée peut envoyer un message erroné : que le lait n’est pas nécessaire. C’est pourquoi tirer souvent, même en l’absence de mise au sein, est un investissement fondamental.


Le lait maternel, un véritable médicament pour le bébé prématuré


Chez les bébés nés avant terme, le lait maternel prend une dimension thérapeutique. Il nourrit, protège et soigne à la fois. Comparé au lait maternel de mères ayant accouché à terme, celui des mères de prématurés est spécifiquement adapté : il est plus riche en protéines, en immunoglobulines, en graisses et en facteurs bioactifs.


Même en l’absence de mise au sein, chaque millilitre exprimé est une victoire. C’est un geste de soin aussi puissant que les traitements médicaux. Offrir son lait à un bébé vulnérable, c’est participer activement à son rétablissement.


Je retiendrai que le lait de maman il était bon et chaud 🥰
Je retiendrai que le lait de maman il était bon et chaud 🥰
On aura essayé quand même. Mais aucun regret. J'ai fait le maximum avec ce que je pouvais donner. 3ans d'allaitement avec ma grande et 4 mois avec ma petite dernière.

Radiothérapie et lactation : est-ce compatible ?


Une semaine après la naissance, Élodie débute un traitement de radiothérapie, au niveau du crâne et de la colonne. Une inquiétude légitime s’installe. Est-ce que cela va détruire sa production de lait ? Est-ce que cela rendra son lait impropre à la consommation ?


Et que pour notre premier peau à peau, elle m'a laissé une trace de ses petits pieds 🥰
Et que pour notre premier peau à peau, elle m'a laissé une trace de ses petits pieds 🥰

La radiothérapie ne rend pas le lait toxique. Il n’y a pas de chimie, pas de médicament qui passe dans le lait, seulement une irradiation localisée. En revanche, si les zones irradiées incluent certaines vertèbres ou atteignent l’axe hypothalamo-hypophysaire, cela peut perturber la production. Il faudra surveiller.


Mais Élodie a un plan. Elle tire son lait sans relâche, anticipe, constitue un stock. Elle sait où elle va, elle sait ce qu’elle veut pour sa fille, elle ne baisse pas les bras.

Et elle sait qu'elle peut aussi compter sur le soutien de l'équipe de néonatalogie qui est absolument exemplaire.


Malgré la peur, nous avons profité de chaque moment
Malgré la peur, nous avons profité de chaque moment


mes tatas sont formidables
mes tatas sont formidables


Après tout, nous sommes faites d'amour, de force et d'espoir
Après tout, nous sommes faites d'amour, de force et d'espoir

Chaque jour transforme les incertitudes en espoir

Fin juillet 2025, je reçois un nouveau message d’Élodie.

« Grâce à tous tes précieux conseils, j’ai réussi à allaiter exclusivement ma fille pendant 4 mois. J’ai fait suffisamment de stock pendant la radiothérapie. Elle n’aura été au sein que deux fois, mais au moins, elle aura eu mon lait. »

La lactation ne s’est pas effondrée. Ce n’est que bien plus tard, après une grippe éprouvante, juste avant le début de la chimiothérapie, qu’elle s’est tarie d’elle-même.

Mais Élodie a tenu. Et Gabriela, née à 30 SA, a pu bénéficier exclusivement de lait maternel pendant ses 4 premiers mois. Aucun regret pour Élodie, qui conclut avec une phrase bouleversante :

« On m’avait dit que je ne pourrais pas donner mon lait. Puis que je pouvais tirer, au pire on le jetterait. Si je ne t’avais pas connue, peut-être que je ne l’aurais pas fait. Gabriela n’a eu aucune complication en néonatalogie. Elle a toujours bien grossi. Je suis certaine que mon lait a été important. »

C'est une évidence, le lait d'Elodie est un cadeau pour sa fille.

Pour toutes celles à qui on dit que ce n’est pas possible


L’histoire d’Élodie est une leçon de courage. Une leçon d’amour. Et un exemple criant de ce que nous, professionnels de l’allaitement, savons intimement : dans les situations extrêmes, le lait maternel reste un pilier de santé, de lien et de résilience.


Il ne s’agit pas de forcer, ni de faire de l’allaitement un combat de plus dans un parcours déjà surchargé. Mais de rappeler que, même dans la maladie, même dans la prématurité, même sans mise au sein, allaiter — donner son lait — reste parfois possible. Et que cela peut tout changer.


Élodie m’a écrit cette phrase :

"Si je ne t’avais pas connue, peut-être que je ne l’aurais pas fait. Et je suis sûre que mon lait a été important pour Gabriela."

Merci, Élodie, d’avoir offert cette chance à Gabriela. Merci d’avoir montré qu’on peut allaiter avec un cancer. Merci pour ton témoignage. Que ton histoire puisse soutenir d’autres mères à qui l’on dit trop vite : « Ce ne sera pas possible. »



Références

  • Academy of Breastfeeding Medicine (ABM), Clinical Protocol #20 Breastfeeding in the context of maternal cancer treatment (2020)→ Recommande de maintenir l’allaitement tant que les traitements ne sont pas chimiothérapeutiques ou radiotoxiques pour le lait.

  • WHO – Ten Steps to Successful Breastfeeding, adapté aux soins en néonatologie → Importance du lait maternel pour les bébés prématurés, rôle de l’expression du lait dès les premières heures.

  • Parker, M.G. et al. (2012), Feeding method and necrotizing enterocolitis in very low birth weight infants: is breast milk protective? → Étude montrant le rôle protecteur du lait maternel contre l’ECN.DOI : 10.1542/peds.2011-1545

  • Meier, P.P. et al. (2017), Improving Lactation Outcomes With Initiation of Milk Expression Within 1 Hour of Birth → Le timing de l’expression du lait chez les mères de prématurés impacte la quantité produite.

  • ABM Clinical Protocol #8 – Human milk storage information for home use for full-term infants → Informations pratiques sur le stockage du lait maternel exprimé.

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