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Perte de poids du nouveau-né : réagir vite pour protéger l’allaitement


Crédit photo Renaud Caillé
Crédit photo Renaud Caillé

Les premiers jours d’allaitement peuvent ressembler à une douce lune de miel… ou à une succession de défis inattendus. L’un d’eux, parfois sous-estimé, est la perte de poids importante du nouveau-né. Si une baisse modérée est normale, dépasser les 10 % du poids de naissance peut rapidement mettre en danger l’hydratation et la santé du bébé, tout en fragilisant la lactation. Dans ces moments-là, chaque geste compte — et certains conseils courants peuvent malheureusement vous faire perdre un temps précieux. Voici ce qu’il faut savoir et faire, dès aujourd’hui.


Sommaire


  1. Comprendre la perte de poids du nouveau-né

  2. Signes d’alerte à ne pas négliger

  3. Qu’est-ce qui est normal ?

  4. Administrer du lait artificiel aux bébés allaités « à risque » : une proposition controversée

  5. Conduites à tenir pour soutenir la lactation et le bébé

  6. Les conseils obsolètes qui font perdre un temps précieux


Comprendre la perte de poids du nouveau-né

Après la naissance, tous les bébés ou presque perdent un peu de poids : c’est une adaptation normale, liée à l’élimination du liquide amniotique et au passage progressif de l’alimentation in utero à la nutrition lactée.

  • Une perte de 5 à 7 % du poids de naissance dans les 3 à 4 premiers jours est généralement physiologique.

  • Au-delà de 7 %, il faut surveiller de près, et à partir de 10 %, la situation est considérée comme préoccupante.


Voici les causes courantes d'une perte de poids importante :

  • un transfert de lait insuffisant (succion faible, mauvaise position, faible nombre de tétées),

  • une lactation encore peu stimulée,

  • des douleurs ou crevasses qui découragent les mises au sein fréquentes,

  • une somnolence ou un tonus faible chez le bébé, limitant la durée et l’efficacité des tétées.


Récit courant d'expérience en maternité
Récit courant d'expérience en maternité

Qu’est-ce qui est normal ?


Il est normal qu’un nouveau-né perde environ 10 % de son poids de naissance au cours de la première semaine de vie. En général, votre enfant retrouve son poids de naissance entre le 4ème et le 8ème jour, parfois jusqu’au 10ème jour, mais il est préférable de ne pas attendre au-delà.

 

L’évaluation du poids repose sur son poids de naissance et non le poids le plus bas (souvent au 3ème jour).


Signes d’alerte à ne pas négliger


Vous devez consulter rapidement si vous observez :

  • Urines rares ou foncées (couche avec une tache orangée ou absence d’urine claire plusieurs heures d’affilée).

  • Bébé difficile à réveiller ou qui se rendort presque aussitôt après avoir pris le sein.

  • Faible tonicité musculaire (bébé “mou”).

  • Peu ou pas de selles jaunes après J3, ou selles encore foncées (vertes).

  • Douleurs intenses ou crevasses ouvertes rendant les tétées difficiles.


Ces signaux doivent inciter à agir sans attendre, car plus la perte de poids se prolonge, plus il est difficile de relancer une lactation optimale.

Catégorie

Signes à surveiller

Urines

Moins de 3 couches mouillées avant J3, urine foncée, cristaux orangés

Éveil

Somnolence extrême, tonus faible

Selles

Pas de selles jaunes après J3, selles toujours noires/vert foncé

Allaitement

Succion faible, peu de déglutitions audibles

Maman

Douleurs intenses, crevasses


De nombreux facteurs peuvent expliquer une baisse soudaine de la prise de poids de votre bébé, mais ce qu'on vous en dit n'est pas toujours juste :

  • 🚫 Utilisation de balances différentes = prudence avec cette affirmation, oui ça arrive mais ce n'est pas si fréquent

  • 🚫 Une grosse selle juste avant la pesée = indice insuffisant pour considérer qu'une stagnation de poids est normale

  • 🚫 Maladie du bébé = en veillant à maintenir la lactation, et à apporter du lait au bébé sous quelque forme que ce soit pendant l'épisode de maladie, cette perte de poids n'est pas significative

  • Restriction du nombre de tétées = oui et notamment la consigne de n'en donner que 8 par jour pour se calquer sur le rythme de l'enfant nourri avec des préparations commerciales pour nourrissons

  • Longues périodes de sommeil sans tétées = oui, notamment quand on dépasse 5h

  • 🚫 Augmentation de la mobilité du bébé = non : si le bébé devait perdre du poids. alors qu'il commence à se déplacer, cela se verrait sur les courbes de l'OMS

  • Introduction de la tétine = oui car elle fait sauter un certain nombre de tétées précieuses

  • Enregistrement incorrect des poids précédents = oui cela arrive


Une seule pesée ne donne pas une image complète, il est plus utile de suivre le poids de votre bébé sur une période de temps, plutôt que de se concentrer sur des mesures isolées ou prises très rapprochées.



Administrer du lait artificiel aux bébés allaités « à risque » : une proposition controversée


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En 2022, certains pédiatres allergologues francophones ont proposé d’introduire quotidiennement une petite quantité de préparation pour nourrissons (PPN) — environ 10 ml par jour jusqu’à la diversification — chez les bébés exclusivement allaités et considérés "à risque atopique", voire plus largement. Cette notion de risque repose sur la présence, chez un parent proche, d’antécédents d’asthme, d’eczéma, de rhinite, de conjonctivite allergique ou d’allergie alimentaire. Plusieurs mères ont témoigné avoir reçu ce type de consigne, parfois adaptée en fréquence (un biberon par jour ou par semaine). Cette "proposition" repose sur une unique étude japonaise, dont les résultats sont difficilement transposables en France et qui présente des limites méthodologiques importantes, insuffisantes pour justifier une telle pratique à grande échelle.


Un premier enjeu concerne le microbiote intestinal. La recherche montre que la flore intestinale d’un bébé exclusivement allaité est distincte de celle d’un bébé recevant aussi du lait artificiel. Ce microbiote joue un rôle fondamental dans la santé future, tant de l’enfant que de l’adulte. Modifier précocement cet équilibre par l’introduction de PPN pourrait avoir des conséquences encore mal connues, ce qui souligne la prudence nécessaire avant de généraliser une telle pratique.


Un second risque porte sur la durée de l’allaitement. De nombreuses études ont établi que l’introduction de compléments de PPN entraîne une diminution de la durée globale de l’allaitement. Sur le plan pratique, les contraintes liées à la conservation et à la préparation du lait artificiel augmentent la probabilité d’en donner davantage que les 10 ml initialement proposés. La présence d’une boîte de lait entamée à la maison peut également inciter, en cas de doute ou de fatigue, à remplacer une tétée par un biberon. Ce glissement progressif favorise le sevrage précoce, souvent non désiré, et peut générer de la frustration chez les familles.


Enfin, des experts comme le Professeur Dominique Turck (CHU de Lille) dénoncent cette proposition comme étant infondée et "totalement irresponsable".


Ajoutons à cela que la consommation de protéines de lait de vache par la mère n’a pas le même effet que leur ingestion directe par le nourrisson. Les protéines transformées présentes dans le lait maternel peuvent contribuer à l’acquisition d’une tolérance, ou au contraire déclencher une réaction, sans que les mécanismes soient parfaitement connus.


Ces incertitudes renforcent la nécessité de s’appuyer sur des données scientifiques solides avant d’avancer de telles pratiques.



Donner des compléments avec discernement

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Le recours aux compléments de préparation pour nourrissons (PPN) doit rester exceptionnel. Avant d’y avoir recours, plusieurs mesures peuvent optimiser l’allaitement : proposer des tétées très fréquentes, aux deux seins, utiliser la compression mammaire, favoriser la position instinctive (Biological Nurturing) qui stimule les réflexes de succion du bébé, ou encore compléter avec du colostrum exprimé manuellement et donné à la cuillère. Lorsque la mère a pu recueillir du colostrum en anténatal, celui-ci peut aussi être utilisé pour éviter d’introduire une préparation artificielle.


Cependant, si malgré ces stratégies la perte de poids du nourrisson nécessite un complément, les sociétés savantes de pédiatrie et d’allergologie recommandent d’éviter les laits artificiels classiques à base de protéines de lait de vache (PLV) entières. Dans ce cas, le choix se porte vers un hydrolysat de protéines ou une formule d’acides aminés, qui réduisent considérablement le risque d’allergie aux protéines du lait de vache (APLV). En effet, des études ont montré que l’introduction précoce de PLV entières chez un bébé ensuite exclusivement allaité augmente le risque d’APLV, indépendamment des antécédents familiaux d’allergie.


Les hydrolysats contiennent des protéines de lait de vache fragmentées, rendant leur potentiel allergisant bien plus faible. D’autres alternatives proposées par certains spécialistes incluent des PPN à base de protéines de riz, bien qu’aucune étude formelle n’ait confirmé leur efficacité en prévention de l’APLV, ou encore des préparations à base d’acides aminés, où les protéines sont totalement décomposées. En pratique, cette recommandation vise à limiter au maximum l’exposition précoce aux PLV entières, et dans les rares situations où un complément est indispensable, à orienter vers des formules adaptées. Certaines maternités suivent déjà ces recommandations, mais dans le cas contraire, des solutions pratiques existent pour que les parents puissent obtenir un hydrolysat ou une formule alternative.


Croissance au fil du temps

  • À 4 mois, le poids de naissance doit avoir doublé

  • À 13 mois pour les garçons et 15 mois pour les filles, il doit avoir triplé

  • Durant la première année :

    • La taille augmente 1,5 fois

    • Le périmètre crânien croît d’environ 11 cm

Les bébés allaités ont souvent des rythmes de croissance différents des bébés nourris au lait artificiel :

  • Prise de poids plus rapide pendant les 3 premiers mois

  • Puis ralentissement par rapport aux nourrissons nourris au lait artificiel à 3-4 mois

La prise de poids peut varier d’une semaine à l’autre, mais globalement, votre bébé doit grandir régulièrement au cours de la première année. Suivre la moyenne de la prise de poids sur un mois donne une image plus précise.



À prendre en compte

  • Tous les bébés n’ont pas la même taille ou morphologie

  • Un bébé de parents de petite taille peut naturellement être plus petit

  • La croissance ne se limite pas au poids : il faut aussi observer la taille et le périmètre crânien pour évaluer le développement global

Le 50e percentile sur les courbes de croissance représente la moyenne, et non un objectif à atteindre. Il indique que 50 % des bébés sont en dessous et 50 % au-dessus.



Conduites à tenir pour soutenir la lactation et le bébé


Stimuler fréquemment et efficacement

  • Proposez le sein 10 à 12 fois voire plus encore par 24 heures, même si votre bébé dort beaucoup.


Donner un coup de pouce énergétique au bébé

  • Offrez quelques millilitres de lait exprimé avant la tétée pour lui donner l’énergie nécessaire à une succion plus active (“mise en bouche”).

  • Complétez après la tétée si besoin, pour qu’il reçoive un volume suffisant et reprenne du poids.

  • N’hésitez pas à lui proposer à téter (le sein ou boire un complément de lait tiré) alors qu'il est encore en état de somnolence


Optimiser le transfert de lait

  • Faites évaluer la prise du sein par un professionnel formé (IBCLC). Une simple correction de position peut transformer l’efficacité d’une tétée.

  • Testez des positions qui favorisent la gravité, comme la position “biological nurturing” ou madone inversée.


Protéger la santé maternelle

  • Les crevasses se soignent en corrigeant la cause. Un produit neutre cicatrisant peut aider, mais la clé reste la correction de la prise du sein.

  • En attendant, exprimer le lait et le donner autrement (cuillère, tasse, seringue, DAL) peut permettre une pause aux mamelons lésés.


Suivre des indicateurs fiables

  • À partir de J5, un bébé bien nourri mouille au moins 5 à 6 couches par jour avec une urine claire et produit des selles jaunes et molles.



Les conseils obsolètes qui font perdre un temps précieux


Mythe

Réalité

Peau à peau = plus de lait

Favorise l’ocytocine mais pas suffisant pour relancer une lactation

Boire beaucoup = plus de lait

Boire à soif suffit, l’hyperhydratation n’augmente pas la production

Se reposer fait venir le lait

Sans stimulation fréquente, la production ne monte pas


🚫 "Faites du peau à peau, ça fera monter le lait"

  • Le peau à peau est précieux pour la relation et stimule la sécrétion d’ocytocine, mais il ne suffit pas à relancer une lactation faible. Sans stimulation active et efficace du sein, la production n’augmente pas durablement (Prime et al., 2012).

🚫 "Reposez-vous, le lait viendra"

  • Le repos aide à récupérer, mais la production lactée dépend avant tout de la stimulation régulière des seins. Sans tétées ou tirages fréquents, la lactation diminue (Neville et al., 1988).

🚫 "Buvez davantage d’eau, ça augmentera votre production "

  • Boire à soif est suffisant. Une surhydratation n’a pas d’effet positif sur la lactation et peut même être inconfortable.


Que retenir

En cas de prise de poids faible, gardez à l'esprit les priorités suivantes :

  1. Stimuler votre lactation fréquemment et efficacement.

  2. Optimiser la prise du sein pour maximiser le transfert de lait.

  3. Compléter intelligemment en privilégiant votre lait

  4. Surveiller les couches et le comportement du bébé.



Références

  1. Academy of Breastfeeding Medicine Protocol Committee. ABM Clinical Protocol #3: Hospital Guidelines for the Use of Supplementary Feedings in the Healthy Term Breastfed Neonate, Revised 2017. Breastfeeding Medicine, 12(3), 188–198.

  2. Natsume O, et al. PETIT Study Team. Two-step egg introduction for prevention of egg allergy in high-risk infants with eczema (PETIT): a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet. 2017 May 20;

  3. Chantry CJ, Dewey KG, Peerson JM, Wagner EA, Nommsen-Rivers LA. In-hospital formula use increases early breastfeeding cessation among first-time mothers intending to exclusively breastfeed. J Pediatr. 2014 Jun;

  4. Forster DA, McLachlan HL, Lumley J. Factors associated with breastfeeding at six months postpartum in a group of Australian women. Int Breastfeed J. 2006;1:18.

  5. Penders J, et al, Factors influencing the composition of the intestinal microbiota in early infancy. Pediatrics. 2006 Aug;

  6. Azad MB, Konya T, Persaud RR, et al. Infant feeding and the developmental origins of gut microbiota and allergic disease. J Allergy Clin Immunol. 2016 Jan

  7. Flaherman, V. J., et al. (2015). Early weight loss nomograms for exclusively breastfed newborns. Pediatrics, 135(1), e16–e23.

  8. Halken S, Muraro A, et al. EAACI guideline: Preventing the development of food allergy in infants and young children (2021 update). Pediatr Allergy Immunol. 2021;

  9. Grimshaw KE et al. Introduction of cow’s milk protein in the first days of life increases risk of cow’s milk allergy. Allergy.

  10. Vandenplas Y, et al. Hydrolyzed formulas and risk of allergic or autoimmune disease: Systematic review and meta-analysis. BMJ. 2016;352:i974.

  11. Prime, D. K., et al. (2012). Oxytocin: Milk ejection and maternal-infant bonding. Advances in Experimental Medicine and Biology, 739, 155–166.

  12. Neville, M. C., et al. (1988). Lactation: Physiology, nutrition, and breast-feeding. Nutrition Reviews, 46(10), 313–326.

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